L’« EXPLOSION DÉMOGRAPHIQUE » N’AURA PAS LIEU
Le Monde Diplomatique, lundi 31 octobre 2011
Après quelques millénaires d’une très lente évolution, la population mondiale est passée de 1 milliard à désormais 7 milliards en deux petits siècles. Cet emballement démographique a fait craindre une apocalypse, si la planète ne pouvait nourrir les 15 ou 20 milliards envisagés par les pires scénarios élaborés dans les années 1950 et 1960 – et désormais complètement obsolètes.
Toujours spectaculaire, la croissance de la population mondiale n’est plus exponentielle. Les tendances récentes indiquent même un net ralentissement. Selon les prévisions de l’ONU, le pic démographique sera atteint vers 2050, avec un peu plus de 9 milliards d’habitants, et devrait se stabiliser autour de 10 milliards vers 2100 (8 milliards si l’on retient l’hypothèse basse).
Le « sursaut » démographique se manifeste au tout début du XIXe siècle. Il accompagne l’industrialisation de l’Europe et du nouveau monde. L’accélération se poursuit tout au long du XXe siècle, avec l’intensification de l’urbanisation et les progrès de la médecine. Mais l’essentiel de cette croissance pèse sur les pays les moins développés : au début du XIXe siècle, la population des pays riches équivalait à celle des pays pauvres. D’un pour cinq dans les années 2000, le rapport sera d’environ un pour huit vers 2050. Le sociologue Jack A. Goldstone qualifie cette dissymétrie de « bombe démographique » : ce n’est pas la surpopulation que l’humanité doit craindre, mais plutôt les risques liés à l’accroissement des déséquilibres dans les niveaux de développement, avec le gonflement spectaculaire de la population des pays pauvres et le vieillissement de celle des pays industrialisés.
Quel que soit l’environnement socioculturel ou religieux, le degré de richesse ou de pauvreté, l’instauration ou non d’une politique de contrôle des naissances, la fécondité baisse inexorablement partout dans le monde, de manière plus ou moins marquée selon les pays, mais d’une manière qui semble irréversible.
Le taux de fécondité mondial a été divisé par deux, passant de 5 à 2,5 entre 1960 et 2010 : de 7 à 4,5 en Afrique, continent qui, en dépit des guerres et des épidémies, a dépassé le cap du milliard d’habitant en 2009, et de 3 à 1,5 pour l’Europe, désormais largement en dessous du seuil de renouvellement. En 2010, la moitié au moins des pays du monde avaient un taux de fécondité inférieur ou égal au seuil de remplacement à long terme (environ 2,1 enfants par femmes). C’est le cas – outre la « vieille Europe » – du Brésil, de la Tunisie, de la Chine ou de la Thaïlande (1,8 enfant par femme), du Vietnam (2,1), du Bangladesh (2,2), de l’Inde (2,6) ou enfin du Maroc qui passe de 7,5 à 2,4 enfants par femme entre 1960 et 2010 ! Principaux facteurs de cette baisse sensible : l’accès des femmes à l’éducation et à l’emploi, le recul de l’âge du mariage, la diffusion de la contraception ou les progrès dans le domaine de la santé.
« Hiver démographique »
Pour le démographe Gérard-François Dumont, la baisse de la fécondité et le vieillissement consécutif de la population mondiale annoncent un « hiver démographique ». Les prévisions montrent que les plus de 60 ans seront 20 % en 2050 contre 11 % en 2010 (ils étaient 8 % en 1954…). Les futures populations actives « auront à faire face à un vieillissement sans équivalent dans l’histoire de l’humanité, et seront chargées d’entretenir un nombre croissant de retraités », écrit l’Organisation des Nations unies (ONU) dans un rapport de janvier 2010. Avec à la clé un impact sur la croissance, les investissements et la consommation. Les plus de 60 ans représentaient déjà, en 2010, environ 20 % de la population au Japon, en Italie et en Allemagne…
Nul ne sait exactement quand, mais la population mondiale s’oriente vers la stabilisation. La prédiction est un enjeu crucial, car une toute petite différence de taux de fécondité, en dessus ou en dessous du seuil de renouvellement, signifie plusieurs centaines de millions de personnes en plus ou en moins à nourrir et à loger, au sein d’une population qui aura à faire face aux changements climatiques et qui continuera de migrer et d’exploiter les ressources naturelles. Et encore faut-il être certain de bien compter tout le monde : des dizaines de millions de personnes échappent encore aux statistiques…